La confiance
dans la relation (non-)éducative
Valérie Teboul-Weber (Confiance, in « Quaderni – la revue de la communication » n°63, éd. de la MSH, 2007) reconstruit une définition lexicale du terme confiance à la lumière des événements politiques français de 2005 (le mot « confiance » est alors très employé, détourné et modifié par les grandes voix du monde politique). Elle estime que la confiance est désormais synonyme de « consommation » et qu’un engagement lie les deux sujets concernés par cette relation de confiance. Pour creuser un peu la notion de confiance et celle de transgression qui lui est associée, nous nous appuierons à la fois sur la linguistique et l’étymologie, sur quelques penseurs de l’éducation ou de la non- éducation, et sur les réactions psychiques impliquées dans l’idée de confiance. Nous verrons petit-à-petit comment le sens du terme « confiance » a été détourné et retourné dans nos pratiques sociales quotidiennes.
Quelques banalités pour commencer
- « la confiance se construit » (V. Teboul-Weber) : il y a une notion de preuve de la confiance dans la sphère politique, les individus doivent prouver qu’ils méritent la confiance. Les personnages politiques doivent prouver qu’ils méritent la confiance des électeurs, ce qui implique de fait une recherche de perfection morale impossible à atteindre pour ces hommes et femmes politiques. Cet aspect renvoie aussi au problème récurrent « d’être un modèle » pour les autres, notamment pour les enfants dans la relation éducative. Il conviendra de critiquer avec force cette notion ancienne et qui n’a de « moral » que la forme ;
- avoir confiance, ça n’est pas avoir peur. Ça ne peut être un sentiment de crainte que l’autre trébuche. « Être confiant » implique nécessairement un détachement suffisant permettant d’être serein avec la relation qui nous lie à l’autre. Le fait de ne pas avoir d’espoir ou d’attente démesurés facilite la confiance…
- plusieurs aphorismes signés de F. Deligny (in Graine de crapule, 1945) nous rappellent que la confiance n’est pas un challenge que l’on réussit ou que l’on rate. Non, c’est autre chose. Petits rappels élémentaires :
Voilà : tu donnes un billet de cent francs à un fugueur et tu l’envoies à la gare chercher un billet de chemin de fer. Il revient essoufflé en te rapportant la monnaie. « L’ai-je bien éduqué ? » Trois jours plus tard, ton cobaye pendant la nuit démonte une fenêtre et disparaît pour un certain temps. J’espère que tu te diras : « Bien joué. »
Et que tu réserveras tes expériences pour les souris blanches.Tu crois que le monde est divisé en deux grands groupes : ceux qui sont honnêtes et ceux qui ne le sont pas.Eux te diront : ceux qui sont pris et ceux qui ne le sont pas. - la sanction n’est que le miroir de notre déception vis-à-vis d’autrui. Déformation de la confiance, l’attente implacable d’un comportement irréprochable – ou ne serait-ce que d’un « meilleur » comportement – car on y a consacré de l’énergie à ce que ce petit d’homme change de comportement ! Si ta confiance s’envole, c’est que ce n’était pas de la confiance, mais une attente morale. Ce sont deux choses bien différentes…
Sanctionner, c’est être déçu, ce qui est humain. Mais sanctionner, ça peut aussi être croire dans les vertus éducatives de telle ou telle méthode coercitive ! Et ça, c’est bien plus malsain que la déception.
Étymologie (CNRTL)
confidence (confidentia, dérivé de confidere, confier)
lat. Fides – fidélité/fiabilité/loyauté ! Authenticité, bonne foi, foi, croyance en Dieu, crédit, se fier, croire…
Avoir confiance, c’est donc avoir foi en quelque chose ou en quelqu’un. Super ! Cette définition est simple. C’est aussi être dans la confidence, donc dans la sphère de l’intime, du familier. Il n’y a pas de relation de confiance entre deux individus qui ne sont pas un minimum proches. D’ailleurs, lorsqu’un éducateur ou une éducatrice souhaite conserver « une distance professionnelle » avec un enfant ou une famille, il ou elle s’empêche directement de placer son travail et son accompagnement sur la charpente de la confiance. Peu importe, on peut sans doute travailler sans confiance. Mais encore faut-il ne pas employer ce mot n’importe comment !
Car l’enjeu sous-jacent est un paradoxe destructeur. C’est un paradoxe lorsque je dis à quelqu’un (et souvent à un enfant) : « je te fais confiance… » alors qu’en réalité je ne crois pas du tout ou pas totalement que l’enfant sera capable de réaliser ce qui a été convenu (et convenu par qui d’ailleurs ? Souvent par l’ adulte…). Ici s’opère la bascule de la confiance vers… la mise au défi ! Si je dis « OK, je te fais confiance, ne me déçois pas », alors je lance un défi à la personne, je ne lui partage pas ma confiance. Je ne l’aide pas le moins du monde à avoir confiance dans l’avenir, je la mets au défi de réussir, sous-entendu je parie sur son échec potentiel. Dans cette relation, nous espérons toujours que cette personne sera « digne de confiance ». Aucune dignité pourtant là- dedans. Nous posons des jalons normatifs à atteindre. Nous sommes dans une stratégie d’échec/réussite à l’image de la progression scolaire ou de l’entraînement sportif. Nous fixons un but à atteindre avec, dans l’énoncé, le risque très réaliste d’une potentielle faute, d’un raté probable. Là aussi c’est un choix pédagogique, mais alors on ne peut pas parler de « confiance ».
La confiance a, bien au contraire, une vertu inconditionnelle. Elle ne se mérite pas, elle se dit simplement. C’est un état d’esprit et non une méthode. C’est une invitation à essayer et à faire possiblement des erreurs. Dans une réelle relation de confiance, donc de proximité humaine, sociale, les erreurs et les déceptions ne remettent jamais en cause la relation de confiance. Bien sûr que l’on peut être déçu, on peut être en colère, voire perdu face à un enfant qui a causé mille ennuis et qui continue à créer du souci à son entourage. Mais si nous avons confiance, alors nous lui montrons à chaque fois que cette confiance est toujours là, et que nous serons encore là s’il ou elle souhaite refaire un essai, tenter à nouveau d’évoluer.
Confiance/défiance/méfiance
Nous y sommes. La plupart du temps, donc, lorsqu’on parle de confiance aux personnes avec qui l’on travaille, nous leur posons en réalité des conditions à atteindre, nous les mettons au défi. Étymologiquement parlant, la défiance est l’exacte opposée de la confiance. Et dans les effets qu’elle produit également… Faites l’expérience, observez les situations autour de vous, à l’école, en famille, dans les clubs de sport… Mais aussi au travail, entre adultes, dans des réunions d’association…
Si la défiance débouche sur une réussite (l’enfant s’est conformé aux attentes de l’adulte que nous sommes), on navigue alors dans la relation pseudo-vertueuse de la méritocratie. Tous les outils traditionnels du formatage (au sens de « rendre conforme ») et de la « manipulation douce » sont alors présents : la valorisation (« c’est super ce que tu as fait », « tu vois quand tu veux », « je suis fier/fière de toi »…), la projection positive (« je sais que tu peux le faire », « si tu y arrives, tu seras fier de toi et moi aussi… », etc.), l’esprit de compétition (la compétition étant par nature une mise au défi, individuelle ou collective), la comparaison (« regardes, elle/lui y arrive bien », « si moi j’ai réussi, toi aussi tu peux le faire »)…
A l’inverse, si la défiance débouche sur un échec (l’enfant n’a pas pu ou n’a pas voulu entrer dans le moule qu’on souhaite lui imposer, bref : il ne rentre pas dans le cadre), il existe peu de possibilités en-dehors de l’abandon (à une autre institution par exemple : changement d’école, renvoi chez ses parents…) ou de la sanction (voir paragraphe d’introduction). Ce cercle malheureux, nous l’avons tous connu. Comment enfant, comme adulte souvent aussi.
S’engager, tenir sa parole
S’engager, c’est accepter de partager les conditions d’un défi. Défi d’être présent, de réussir une performance, de s’impliquer dans un groupe, de réaliser un projet… S’engager, c’est engager sa parole, ce fameux contrat social et oral qui permet à un individu de pouvoir compter sur un autre individu. Même si les deux notions semblent proches, l’engagement et la confiance sont pourtant très différents : il est tout à fait possible d’avoir confiance en quelqu’un qui ne tient pas sa parole, qui n’est pas capable de s’engager. Autrement dit, on peut avoir foi et croire en quelqu’un sur qui on ne peut pas compter pour telle ou telle chose. La preuve, nous avons confiance en nos enfants même très petits, simplement car nous prenons en considération leurs capacités, nous ne les surestimons pas, nous n’attendons pas d’eux qui sachent faire à 2 ans ce qu’une personne de 15 ans arrive à peine à faire.
Prendre en considération les capacités de chacun semble être une piste pour retrouver le sens de la confiance en l’autre. C’est le début d’un chemin qui nous éloigne de la colère, si facile à ressentir quand nos attentes et exigences sont trop fortes, mais aussi de la déception et du dégoût. C’est une manière aussi de permettre à chacun d’évoluer, de s’éduquer autrement que par la contrainte de la mise au défi.
Agression, régression, transgression et… progression !
Quelques définitions :
– augmenter sa capacité d’agir = progresser
– diminuer sa capacité d’agir = régresser
– exercer sa capacité d’agir de façon illégale = transgresser
– exercer sa capacité d’agir au détriment de quelqu’un (attaque, violence, brutalité) = agresser
Hypothèse : l’être humain a la nécessité, et particulièrement dans les premières années de sa vie, de progresser (étymologiquement, signifie « avancer, action de marcher »), c’est-à-dire d’augmenter régulièrement sa capacité d’agir sur son environnement, et également d’inter-agir avec ses semblables.
D’où : une femme ou un homme que l’on empêche de progresser (par la discipline, par l’interdiction, par la non- autorisation à faire, par les carences d’aide pour grandir…) va devoir soit :
– se résigner, accepter vaguement cette forme d’oppression : il ou elle va stagner puis régresser ;
– s’autoriser lui-même ou elle-même à progresser, à agir malgré l’interdit : il ou elle va alors transgresser ;
– réagir de manière violente car ne pouvant plus supporter cette oppression : il ou elle peut agresser la personne ou l’élément qui l’empêche de progresser.
le suffixe « –gression » a la même racine que grade (gradus = degré, pas, gradi = marcher)
Mais que peut faire l’animatrice, l’animateur, l’éducatrice ou l’éducateur ?
La proposition que l’on peut faire est d’abord de ne pas trop s’inquiéter, ni de s’interroger en permanence sur sa manière de travailler ou d’être en relation. La spontanéité a tout de même beaucoup de vertus, et l’animal qu’est l’être humain possède de nombreux réflexes et capacités de réflexion allant dans le sens de permettre à ses congénères de grandir (à commencer par la parentalité, même si ça n’est pas toujours simple). Être spontanés, proposer, ne pas oublier que jouer est l’activité primordiale de l’humain, surtout durant l’enfance. Être spontanés, donc, en gardant une petite attention, une vigilance, aux situations d’agression et de transgression (voire de régression) que l’on peut croiser. A ce moment- là, il est possible d’observer, d’analyser et de comprendre ce qui a amené un individu (enfant comme adulte) à ne plus progresser (lire au sujet de la pulsion évolutive, les ouvrages de Paul DIEL et notamment Psychologie de la motivation, 1970 et Le besoin d’amour, 2007). Si nous pouvons l’aider à reconnaître et lever les freins, alors voilà notre tâche.
Comprendre la transgression et l’agression est un enjeu majeur du travail de toute personne impliquée dans le monde éducatif (en tant qu’éducateur, professionnel ou de fait, comme les parents, ou bien encore en tant que non- éducateur, dans la lignée du philosophe libertaire Yves BONNARDEL par exemple). C’est un enjeu pour nos semblables, c’est donc aussi un enjeu pour soi.
L. Ferchaud – 2016