Poursuivre la réflexion sur les violences sexuelles et sexistes en ACM

Cet article est un prolongement de la réflexion plus que nécessaire, initiée par l’article de Jean-Michel Bocquet publié initialement (et accessible gratuitement) dans le Journal de l’Animation. L’origine de ces réflexions : le #MeTooAnimation lancé par l’influenceuse Anissa (Tik Tok puis Instagram), qu’il faut remercier pour avoir rendu visible ce sujet, qu’il ne faudrait surtout pas enterrer trop vite. Organisateurs : à vos responsabilités !

 

C’est un long article que celui de Jean-Michel Bocquet. Mais il a la vertu de poser le cadre très large de la responsabilité des organisateurs (assos, comités d’entreprises, mairies, entreprises…), des responsabilités individuelles de toute personne prenant part aux colos. Et du rôle des services de l’Etat (ministère en charge de la jeunesse notamment).

De nombreuses observations viennent interroger nos pratiques. Ces observations auraient tout intérêt à inspirer de futures réunions d’équipe, les préparations de séjours, les bilans de directeurs et directrices…

Je propose quelques éléments critiques afin de poursuivre la réflexion, au regard de mes propres expériences (colos, formations), discussions et lectures  :

  • Quid des structures d’animation à l’année ? Certes l’intensité des relations y est souvent moins élevée (ou disons que c’est un autre rythme, notamment parce que les jeunes rentrent chez elles/eux chaque jour), mais la possibilité d’emprise d’adultes est possible de la même manière, tout comme les relations ambiguës qui peuvent s’avérer destructrices pour certaines personnes.

 

  • Le fait d’imaginer qu’exclure les personnes au comportement criminel ou qui tendent vers des actes répréhensibles (notamment des crimes ou délits) est problématique : d’une part, c’est oublier que c’est une solution a posteriori, donc que ça ne permet pas d’éviter les agressions ou les situations de harcèlement, de manipulation. Mais surtout, c’est oublier ce qui fait tout être humain : sa complexité, sa capacité de changement dans un sens comme dans l’autre, sa capacité de conscientisation…). C’est imaginer qu’il y a des bons et des méchants là où il n’y a en réalité que des individus avec un potentiel de violence et d’agression (il ne s’agit pas de dire « tou.te.s pourri.e.s », mais simplement de ne pas se bercer d’illusions en pensant que certain.e.s seraient, pour toujours, exempt.e.s de violences), et que c’est la rencontre d’un contexte (facilitant voire incitant, ou bien passif sur ces questions de violences sexuelles et sexistes) et d’une personne qui agresse, harcèle… avec une personne victime. C’est aussi poser comme une certitude qu’un adulte sait ce qu’il a le droit de faire ou pas. Or je pense que ça n’est pas la réalité : j’observe qu’au sein des formations (BPjeps, BAFA, BAFD…) comme au sein des structures que les questions de l’intime, du rapport au corps, de la définition de l’affection, de la sexualisation, du consentement, de la posture professionnelle, de ce qui définit un adulte, ce qui définit un enfant… sont loin d’être évidentes. Moi-même, j’apprends, j’affine, je remets en question régulièrement mes propres définitions, car ce n’est pas toujours clair et limpide. Cela se traduit dans les pratiques d’animation par des « zones de flou« , des moments où l’on peut douter de ce qui se joue dans les relations sociales, dans ses propres sentiments. Je crois qu’il faut briser un autre tabou : lorsqu’un jeune animateur prends pour la première fois un.e enfant sur ses genoux, lorsqu’une animatrice approche pour la première fois l’intimité d’un.e jeune pour le soigner (comme retirer une tique mal placée par exemple, ou soigner une plaie qui oblige à s’approcher de ce corps d’enfant ou d’adolescent), il est dangereux et illusoire de croire que seules des personnes perverses ressentent alors une gêne, un malaise, une attitance, un attrait ou un sentiment de curiosité. Il serait d’ailleurs intéressant de se pencher sur l’origine de ce « malaise » dans ces situations. Je pense qu’on s’occupera vraiment du problème seulement le jour où il n’y aura plus aucune honte à reconnaître auprès de ses collègues, de ses formatrices et formateurs, directrices et directeurs, que nous vivons, chacun et chacune, des moments complexes à analyser : est-ce un désir sexuel ? Est-ce une curiosité liée à la découverte ? Est-ce une simple combinaison entre un contexte de découverte du monde et des rencontres humaines très intenses (potentiellement à 17 ans, 18 ans, 19 ans… on découvre souvent en même temps l’autonomie dans ses déplacements, ses premiers rapports sexuels, ses premières responsabilités de travail et échanges avec les collègues…) ? Bien forte la personne qui arrive dans chaque contexte à faire la part des choses. Bien fou est celui qui dit savoir ce qui se joue chez l’autre… Par contre, c’est le rôle de la formation initiale et de la formation continue que de rappeler ce que dit la Loi, c’est-à-dire ce que la société a clarifié en terme d’acceptable et d’innaceptable. C’est aussi le rôle des organisateurs et des directrices et directeurs… Mais oublier l’accompagnement de ces situations individuelles, en ne faisant que rappeler la Loi, c’est ce qui se fait depuis des lustres. Aujourd’hui, il est clair que ça ne suffit pas ! (Tout comme le système de contrôle des cadres interdits lors des déclarations TAM n’est absolument pas une fin en soit).

 

  • Le problème est endogène à tout groupe humain, et au même titre que le mouvement de jeunesse MRJC (cité dans l’article) a organisé un travail interne sur cette question, une possibilité serait d’imposer ce type de travail aux organisateurs (sans pour autant lui donner une forme prédéfinie, uniformisée !). Il ne s’agirait pas de confier à des experts extérieurs au groupe le travail de régulation des comportements entre les individus. C’est de notre responsabilité d’affirmer, et notamment lorsqu’on observe des attitudes tendancieuses, lorsque l’on croit percevoir un malaise chez un.e collègue, ou chez un.e enfant, que certains types de relation ne doivent jamais avoir lieu. C’est aussi le moment de se rappeler collectivement ce qu’est le consentement explicite, l’absolu besoin de respect de son intimité et de celle d’autrui. On peut faire appel à des spécialistes, toutefois, pour apporter de l’information sur des notions autour des rapports humains, de la sexualité, des violences concernant le genre ou les orientations sexuelles. C’est même très souhaitable ! Mais la régulation ne se délègue pas. La responsabilité individuelle de veiller et réveiller une conscience ne se dissout pas au sein d’une profession. Là encore, il ne faut pas imaginer que le danger vient de l’extérieur. Il faut le réguler en nous, au sein du groupe et avec le groupe avec lequel on vit… Sinon, ce serait comme surprotéger son enfant des prédateurs sexuels au parc d’enfants ou à l’école, en fermant les yeux sur ce qui se passe au sein du foyer. Là où le grand frère, là où la tante abusent peut-être quotidiennement de son enfant.

 

  • La « zone grise » et les relations au-delà des colos : sur ce point, il me semble qu’il y a erreur. Cette zone grise parle du flou qui peut régner sur les motifs intimes qui font qu’un.e adulte (animateurs/animatrices) maintient un lien (échange de messages, ou via les réseaux, voire des rencontres hors colo) avec un.e ou plusieurs jeunes. Je crois qu’il y a une véritable vigilance (une veille active) à mettre en place, mais certainement pas un interdit total. Il faut construire cette vigilance, la développer, peut-être l’organiser concrètement au sein de chaque organisme (c’est, là aussi, un travail collectif qu’il convient de lancer, pas un simple échange d’avis individuels, chacun.e dans son coin). Car sous-entendre que les relations hors colo sont nécessairement floues, ambiguës, ça ne colle pas avec de nombreuses observations et expériences que j’ai pu voir. Les relations non-amoureuses et non-sexuelles existent bien heureusement entre enfants et adultes, entre adolescent.e.s et adultes. Elles peuvent même déboucher quelques fois sur des amitiés, notamment lorsqu’il s’agit d’adolescent·e·s qui s’engagent (ou vont s’engager) dans l’animation (BAFA). Cela se voit sûrement beaucoup plus au sein des mouvements qui œuvrent à l’année (bénévolement ou non), comme dans le scoutisme par exemple, mais pas uniquement. Néanmoins, ces liens qui perdurent peuvent devenir le creuset d’une relation malsaine, d’une oppression qui ne dit pas son nom, de manipulations qui peuvent abîmer, voire détruire. Donc oui, il convient de penser ces relations, des les observer et d’en parler, de s’assurer des contours et de la nature qu’elles prennent, mais certainement pas de les interdire. Et de toute façon, c’est matériellement impossible… Je propose donc d’œuvrer, au sein des organismes de séjour, au développement d’une réflexion, d’un discours institutionnel mais surtout d’une mise au travail permanente, avec les équipes de ces notions de lien, de limites et de potentialités. Pour ne pas normer les relations inter-individuelles tout en protégeant du mieux possible chacune et chacun des relations toxiques, et surtout des atteintes sexuelles, de la corruption de mineurs qui sont des infractions, délits ou crimes (ce qui est bien sûr, sévèrement puni par la Loi).

Je formule le vœu, à la suite de plusieurs collègues, qu’un travail d’ampleur puisse débuter au sein de tous les organismes qui proposent des séjours, colos et camps. Un travail systématique qui n’existera certainement que par la contrainte réglementaire… Affaire à suivre, et de près !

 

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